vendredi 28 août 2015

Mon départ de la Délégation interministérielle à l'intelligence économique (D2ie)

J'ai quitté à regret mes fonctions de Déléguée interministérielle à l'intelligence économique le 26 juin 2015, ayant été nommée le 25 juin Conseillère maître en service extraordinaire à la Cour des comptes. Servir cette institution est un honneur et j'ai l'intention de m'investir et de mettre mon expertise à disposition dans mon nouveau poste comme je l'ai fait dans les précédents. Pour information, "en service extraordinaire" signifie qu'on n'est pas intégré à la Cour mais mis à disposition par son ministère d'origine pour une période de 5 ans maximum. On n'a pas le statut de magistrat. On y travaille, très sérieusement, dans des bureaux de 2 personnes, sans secrétaire. Pas de problème pour moi, j'y ai été habituée pendant des années où j'ai été gérante de ma SARL. Mon prédécesseur Olivier Buquen a été nommé au Contrôle général économique et financier (CGEFI, dépendant de Bercy) après son départ. J'ai personnellement soutenu cette solution parfaitement convenable. Mon ante-prédécesseur Alain Juillet, lui, s'était retrouvé sans emploi quand il a été mis fin à sa mission, ce qui à mon sens était regrettable. Il a heureusement depuis suivi une carrière remarquable.

Pendant un peu plus de deux ans, la D2ie rattachée au Premier ministre a traité un grand nombre de cas concrets d'entreprises, a émis beaucoup d'alertes, d'analyses et de propositions et a lancé plusieurs grands chantiers de fond. Certains comme la réforme territoriale de l'IE, la production d'une doctrine opérationnelle tant attendue de l'intelligence économique (Références et notions clés), la production d'outils de référence,... ont abouti et d'autres très stratégiques étaient en cours quand je suis partie. Je ne peux évidemment en parler. Nous avons systématiquement cherché à décloisonner, à donner de la cohérence aux actions menées et avons, je crois, malgré de rares (mais actifs) blocages, insufflé de manière durable l'esprit d'un nouveau mode de gouvernance, fondé sur l'échange d'informations, entre acteurs publics et avec les entreprises, et sur la prise en compte systématique des enjeux internationaux. Nous avons traité de manière égale les quatre piliers de l'IE : veille/anticipation, sécurité économique, influence internationale et sensibilisation/formation. Cela n'aurait pas été possible sans la présence à mes côtés de Conseillers remarquables de compétence et de dévouement à l'intérêt général. Je souhaite que les résultats obtenus soient pérennisés et que les voies ouvertes se développent. J'adresse mes vœux de réussite à mon successeur car à ce poste, c'est de la compétitivité et de l'avenir de la France qu'il s'agit.

A ce poste stratégique, j'ai pu constater que nombre des observations que j'émettais dans mes livres, notamment dans "Nous et le reste du monde" (2007, nominé Prix Turgot 2008), consacré à la nécessité de changement de paradigmes des élites françaises, étaient toujours d'actualité. En même temps, il faut s'abstenir de toute démagogie, facile mais particulièrement dommageable en ces temps fragiles. La voie est étroite entre une indispensable révolution pacifique des esprits des dirigeants et la non moins indispensable obligation de conserver des repères essentiels et d'éviter le changement copié/collé ou par principe. C'est la voie que je me suis efforcée de tenir dans mon poste. J'ai peut-être une certaine inclination à mener cette action, étant administratrice civile d'origine, n'appartenant pas aux "grands corps" de l'Etat, ni à aucun parti, clan ou réseau, hors les nombreux réseaux de compétences et d'amitiés que je me suis constitué au fil des années en France et à l'étranger. Je suis ce qu'on appelle un produit de la méritocratie et des concours de la République, née bien loin de "l'establishment", que j'ai pu connaître par la suite, dans une famille très diverse par ses origines ainsi que politiquement et socialement. Je pense qu'il faut avant tout s'abstenir d'étiqueter les gens par catégorie ou par origine, quelle qu'elle soit. Estimer et juger selon ces critères est le début du racisme et du totalitarisme. Ainsi, ma promotion de l'ENA est connue (en France essentiellement...) pour avoir produit plus d'hommes et femmes politiques que d'autres, de droite et de gauche. J'aurais pu intégrer la promotion d'avant ou celles d'après, et j'aurais probablement suivi peu ou prou le même cursus, fondé sur mes compétences, mon travail et mes centres d'intérêt, comme bien d'autres. Peut-être de manière moins fréquente dans l'administration, je sais ce que c'est que d'aller chercher un contrat soi-même (grande satisfaction quand on y arrive), d'essayer de convaincre puis de satisfaire un client et de gérer une petite structure avec toutes les difficultés que cela implique. Je connais aussi l'absolue nécessité de connaissance précise de l'environnement et de dialogue multiculturel quand on travaille à l'international et qu'on veut également convaincre. Dans le privé, j'ai toujours consacré une partie de mon temps à travailler bénévolement pour l'intérêt général, comme Conseillère du commerce extérieur de la France puis en adressant personnellement depuis 2001 des notes à tous les pouvoirs en place, proposant des réformes indispensables de la gestion de l'Etat face à la mondialisation, que j'ai également déclinées dans mes livres, articles et conférences. J'ai essayé de les mettre en œuvre à la D2ie, le gouvernement en place en 2013 m'ayant donné la chance de m'y exercer.

J'ai plus que jamais l'intention de continuer à servir mon pays, qui se trouve confronté à des enjeux de développement et à des dangers tels qu'ils devraient unir tous les hommes et femmes de bonne volonté pour les traiter. Notamment, ce qu'on appelle "la guerre des idées" -qui fonde et précède toutes les autres- est vital et nous sommes en France et en Europe assez démunis de ce point de vue. Il s'agit non seulement de se donner une armature intellectuelle face à des dérives idéologiques mortifères en tous genres mais aussi les moyens d'intelligence économique et d'influence internationale de la mettre en œuvre. 

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