Si j’étais Présidente… (interview du 13 mars 2017 sur France Info)
Je réorganiserais la gouvernance de
l’Etat pour qu’il réponde aux besoins du XXIe siècle. Je crois en l’intérêt
général qui n’est pas que la somme des intérêts particuliers et en l’autorité
publique pour assurer une société durable en faisant respecter des règles du
jeu. Mais cet Etat n’est pas omniprésent et n’intervient que selon des critères.
L’Etat démocratique moderne laisse
créer la richesse par ceux qui savent le faire, les entreprises, les
agriculteurs et les indépendants. Il intervient pour assurer le respect de la
règle commune, pour défendre les intérêts de ses citoyens et de ses acteurs
économiques dans la compétition internationale, pour assurer un environnement
favorable au développement du pays et pour prendre en charge directement des
fonctions régaliennes essentielles. Encore faut-il qu’il ait à sa disposition
une administration dynamique.
Il ne faut pas céder aux sirènes
démagogiques, mais en même temps, une révolution culturelle pacifique est
nécessaire en France, au sein de l’administration et notamment de la haute administration.
L’Etat ne peut plus fonctionner structurellement comme en 1950, avec des évolutions
à la marge et toujours en réaction, dictées par l’urgence. Comment ? En
changeant de culture et en menant parallèlement des transformations
structurelles de l’administration.
1. Changer de culture de gouvernance
Nous devons abandonner en France notre approche systématiquement et uniquement
quantitative et techniciste, qui consiste à croire mener une politique en
augmentant ou en baissant les crédits, ou en fournissant des outils techniques.
Tous les Etats qui réussissent y compris les plus libéraux se sont donné un
socle d’intervention, dûment pensé sur la base de l’anticipation des défis à
venir. Les Etats-Unis depuis longtemps, la Chine aujourd’hui de façon exceptionnelle
et bien d’autres.
Dans le contexte international
qui est le nôtre, l’Etat a besoin de doctrines
d’intervention et de critères de décision. D’abord, qu’est ce qui est stratégique ?
Quels sont les critères pour lesquels l’Etat devrait intervenir ? Il
faut remettre en place au plus haut niveau de l’exécutif une boussole interministérielle
qui fixe les grandes priorités des 20 ans à venir, qui évidemment s’adaptent en
permanence. Il s’agit d’avoir une vision précise des défis internationaux,
technologiques et autres, et une fine connaissance des rapports de forces et
des intérêts internationaux et nationaux majeurs qui sont à la manœuvre. Aujourd’hui,
l’Etat français est désarmé intellectuellement. Les politiques se décident au
coup par coup, parfois sous influences.
Les rapports prolifèrent mais
pas ce que j’appelle l’anticipation opérationnelle, l’organisation cohérente de
l’action de l’Etat pour préparer le terrain. Par ailleurs, la France n’est pas
seule au monde et doit savoir défendre et promouvoir ses intérêts en UE et à
l’international, par une gestion intelligente de son influence et de ses
réseaux. C’est ce qu’on appelle l’intelligence économique stratégique, qui est
un mode de gouvernance qui va bien plus loin que la sécurité.
Par exemple, le numérique :
comment créer de la valeur sur notre territoire à partir de l’exploitation des
données, comment travaille-ton avec les autres pays démocratiques sur
l’intelligence artificielle et le régime juridique des données, quelles
évolutions du droit de propriété sont à prévoir, quels métiers précisément vont
disparaître et quelles formations met-on en place, notamment dans la formation
continue qui par parenthèse est un sujet essentiel et misérablement traité
aujourd'hui, comment peut-on organiser la commande publique et les règles
européennes pour répondre à ces priorités, etc. C’est au politique de décider mais
sur la base d’une information éclairée et opérationnelle fournie par ses services,
eux-mêmes en lien d’écoute et d’analyse des idées de tous les acteurs.
2. Transformer l'administration
Comme beaucoup d’autres organisations
non publiques, l’administration française regorge d’intelligence collective, aujourd’hui
souvent bloquée par la démotivation, l’absence de circulation de l’information,
la perte de sens.
J’ai vu comment des décisions se
perdent dans la lourdeur des circuits, la volonté de certains de protéger des
territoires et la détestable habitude de répondre à tout nouveau défi par toujours
plus de textes. Même la volonté de simplification de la vie des entreprises a
donné lieu à encore plus de normes. Ne pas prendre des mesures drastiques de
réforme revient à donner des arguments à tous ceux qui veulent casser l’Etat.
Dans la haute administration,
qui donne le la aux autres, il faut avoir le courage de mettre fin aux baronnies
figées et aussi de prévoir des modes d’accès différents et plus ouverts. Mon
devoir de réserve m’empêche d’aller plus loin sur ce sujet. Il faut redonner du
pouvoir aux directeurs des administrations centrales qui doivent être
responsables devant les ministres et réduire les rôles des cabinets aux tâches
essentielles. Déresponsabiliser les gens en charge pousse à des fonctionnements
de repli, et inversement.
La formation des écoles de
préparation à l’administration doit s’ouvrir à la connaissance concrète des
fonctionnements de l’économie, de l’UE et de l’international.
Toute nouvelle politique
publique doit prévoir de supprimer les parties des dispositifs et les
procédures qu’elle modifie et qui ne sont plus cohérents avec les nouvelles
priorités.