dimanche 17 février 2013

In search of the Public Good / A la recherche de l'intérêt général

Le capitalisme en mutation peut choisir de favoriser et donc de valoriser deux types de comportements de la part du citoyen (lequel n'est pas nécessairement un être rationnel,contrairement à ce que nous dit la théorie économique).

Le premier consiste en toujours plus de consommation, celle-ci étant de plus en plus guidée sans qu'il s'en rende compte. Il s'agit d'un soft totalitarisme au demeurant pas désagréable pour qui n'en a pas conscience, et comment en avoir conscience si votre famille ou l'école ne vous a pas donné les outils nécessaires pour le faire.  C'est a priori ce vers quoi on s'achemine dans les pays occidentaux. La France fait encore un peu figure d'exception mais n'arrive pas à défendre une autre vision et peu à peu se fait marginaliser, d'où la tentation de rejoindre les autres pays. Dans cette logique là, il y a peu d'Etat, peu de dépense publique, le "bien public" est assuré par des fondations privées charitables. Surtout, on continue à prôner comme comportement "normal" celui de rechercher toujours plus de bien-être individuel, entendu comme toujours plus d'argent et de consommation, dans une indifférence de plus en plus marquée à ses congénères en tant qu'êtres, sauf via les réseaux sociaux qui sont un reflet virtuel de relations humaines, profondément déstabilisants s'ils sont le seul ou principal mode de relation au monde. Ce modèle est valorisé par les médias et les "people". Le consommateur n'est en réalité pas libre de ses choix mais ne s'en rend pas compte. Le système d'éducation nationale, quand il n'est pas peu à peu privatisé, privilégie un enseignement de base pour tous et l'accès aux matières supérieures à une élite. Comme je le disais dans un dernier post, en exagérant un peu, ce système fait penser à celui  du Meilleur des mondes, d'Aldous Huxley ou encore à Fahrenheit 451 de Ray Bradbury.

Mais une autre tendance monte, la double demande diffuse de comportements plus altruistes et d'intérêt général. Dans les deux cas, comment les valoriser dans une économie fondée sur le gain, l'achat, la vente ? Certes l'altruisme rejoint l'intérêt quand on a des populations vieillissantes ou quand on doit gérer la grande diversité multiculturelle. Dans ces cas-là, la seule recherche consumériste conduit à l'impasse, à des populations qui se côtoient sans se voir et qui un jour ne se comprennent plus du tout.  La valorisation de l'intérêt général fait l'objet d'études économiques depuis longtemps, on en a déjà parlé. Il est beau et séduisant mais il se heurte à un problème de taille non résolu : qui prend en charge l'intérêt général ? Comment paye-t-on ceux qui l'assument ?  Et il rejoint la question de l'altruisme : comment encourage-t-on, voire remunère-t-on ceux qui se soucient des autres ? Comment laisse-t-on s'exprimer l'humanité et la spiritualité des êtres, tout en assurant une cohésion autour de valeurs respectées par tous (c'est le but de la laïcité) ?  Aujourd'hui seul le comportement de lutte et de compétition est valorisé au niveau individuel. Il y a longtemps, on confiait la gestion de l'intérêt général à une catégorie de la population payée pour cela, les fonctionnaires. Mais les déviations catégorielles du système autant que l'endettement excessif des Etats ont conduit à dévaloriser cette manière de faire.

On peut aussi nier le besoin et la notion même d'intérêt général. Alors la méthode est de supprimer le concept en réduisant le nombre de ceux qui le gèrent (aujourd'hui, en France,les fonctionnaires). C'est peu à peu ce qui a tendance à se faire en Europe, sans pour autant que ce besoin soit assumé, comme aux Etats-Unis, par des privés et des églises. Par un glissement (faussement) logique organisé par certains courants politiques, "les fonctionnaires sont trop nombreux" conduit à "les fonctionnaires ne servent à rien" puis à "l'intérêt général n'existe pas". Or rien n'est moins vrai. L'intérêt général existe, il est multifacettes, il n'est pas la somme des intérêts particuliers, il repose sur des valeurs communes aux citoyens -c'est pour cela qu'il est fondamentalement démocratique- qu'une autorité publique légitime doit faire respecter, voire prendre en charge (domaines à déterminer) pour empêcher la loi de la jungle, c'est à-dire faire de l'homme autre chose qu'un animal un peu différent des autres. Mais comment mesure-t-on cet intérêt général ou public good, puisqu'il faut tout mesurer ? Et d'abord, comment le définit-on ?

Il faudra apprendre à mesurer le bien-être collectif, ce qui dans le bien-être individuel vient d'une harmonie avec les autres, avec sa communauté, ce matériau invisible en chacun qui permet à une société  d'assurer un "vivre ensemble" satisfaisant. Pas de miracle, pour atteindre cet intérêt général, qui à côté des activités régaliennes se décline en santé, culture, école, recherche, il faudra qu'"on" (le décideur politique) soit capable de canaliser une partie de la valeur créée par la production de richesses vers le bien commun (qui consiste aussi à favoriser la recherche permettant cette production de richesse). Attention, nous avons dit le bien commun et pas les corporatismes qui souvent le captent au profit d'intérêts particuliers, tout en s'en autoproclamant seuls porteurs légitimes. Le bien commun et l'intérêt général font ressortir des limbes deux notions oubliées : la responsabilité de l'élu et celle de l'Etat au service de tous.

Dans tous les cas, il apparaît urgentissime de réhabiliter partout en UE la nécessité de canaliser une partie importante de notre valeur ajoutée nationale vers l'enseignement de la République : il est la seule réponse aux défis énormes qui nous sont présentés (et peu traités), qu'il s'agisse de la nécessité de recherche pour survivre ou de la coexistence de populations.
Il est très étonnant de voir les paradoxes de la pensée dirigeante majoritaire  en UE en ce moment  : réduire l'Etat par tous moyens, se moquer des contrôles et casser les corps qui les assument mais dénoncer à grands cris les fraudes comme celles du cheval. Ou encore, donner de moins en moins de moyens à l'école, ou la privatiser, et ensuite déplorer la montée des particularismes et notamment, des extrémismes religieux, sans parler de l'incivisme.

Dans tous  ces cas, c'est la notion d'intérêt général qui est en cause. La bonne nouvelle est que les citoyens ne sont pas tous inconscients de ces enjeux, comme le prouvent les manifestations et protestations récurrentes. La mauvaise nouvelle est qu'il serait plus que temps que les pouvoirs publics légitimes en Europe se préoccupent de chercher une alternative politique renouvelant la doxa ultralibérale mortifère pour tous à terme (c'est une libérale qui parle), mais qu'on n'en prend pas le chemin et qu'il y a fort à craindre que nous occidentaux sombrions soit dans le soft totalitarisme énoncé au début, qui un jour ou l'autre deviendra moins soft, soit dans des extrémismes religieux ou idéologiques qui exploitent la frustration de cette négation de la part altruiste et spirituelle de l'homme, pour la détourner vers des soi-disant progrès qui seront des régressions. Bref dans les deux cas, des néo totalitarismes.

Il est urgentissime pour les gouvernements (pourquoi pas au G20?)  de réfléchir de manière indépendante à un modèle renouvelé. Ce n'est pas si difficile, mais il faut être plusieurs.